« J’aurais dû rester en vacances moi. » Ces premières pensées furent celles de Serge Helvitch lorsque sa lourde Mercedes s’engagea dans la bretelle d’autoroute menant à Karandras. Regardant par la vitre arrière gauche, la tête collée sur le dossier, le mafieux calme et posé, ferma les yeux, son lourd manteau sur les épaules. Ses mains tenaient fermement un colt armé d’un silencieux posés sur les genoux. A côté de lui, un nouveau, un peu large au niveau des biceps et des épaules, le crâne rasé arborant une étoile polaire sur la nuque, Vassili Karpov, Ukrainien et nouvelle « petite amie » de Serge, comme il aimait l’appeler. Sur le siège avant, un homme connu des Russes à Karandras, un Tchétchène qui guide le chauffeur sur le périphérique, il répondait au doux surnom de « la pieuvre » pour son réseau relationnel et sa capacité à s’enfuir en laissant des traces de merde partout … Le chauffeur est également un nouveau, débarquant de son Londres natal, Andreï. La voiture s’engage vers le canal et les docks de Karandras.
Serge avait passé quelques mois grâce à ses économies sur plusieurs destinations, les Bahamas pour se la dorer au Soleil, Moscou pour affaire et Londres pour le blé. Une altercation dans un restaurant avec la police, une histoire de contredanse pour stationnement interdit lui a rendu l’âme vagabonde et l’envie de revenir aux affaires, en rapportant deux nouveaux types louches dans ses bagages. Arrivés à Atlanta, le Tchétchène les attendait avec la voiture, et l’armada dans le coffre. Une lettre de retour intimait même à Helvitch l’ordre de casser du « Marseillais », affectueux nom pour désigner des dockers véreux venus ici s’emparer des parts de marché russes dans le secteur. Pas de répit pour un Helvitch à Karandras. Ils ont fait les deux jours nécessaires en bagnole pour débarquer ce soir aux docks, les reins en compotes pour dévisser une ou deux têtes. Le Tchétchène guida habilement la voiture dans les docks avant que le chauffeur ne la gare dans un coin sombre. Les quatre hommes sortirent en même temps.
Serge laissa échapper un gémissement de douleur après s’être étirer. Il fixa le ciel, le réverb’ était défoncé et seule la lumière de la Lune trahissait leur présence. Rangeant son arme dans l’intérieure de sa veste. Il fit craquer ses doigts. Il s’approcha des trois autres qui chuchotaient.
« C’est quoi le plan maintenant Monsieur ? »
Sans mot dire, Serge ouvrit le coffre et souleva une couverture. Deux MP-5, les joujoux du mafieux.
« Vous prenez ça et vous priez pour ne pas vous en servir. »
Tout en acquiesçant, les deux larbins se saisirent des armes. Serge se tourna vers la pieuvre.
« Alors ? »
« Plus loin, sur 200-300 mètres, il y a le poste de garde du dock, le docker, c’est un gros tas, euh euh … Albert … je crois, un peu rustre, m’a filé une tarte une fois car je traînais dans le coin. »
« Dévisser ce mec, ça suffira, je veux pas d’ennuis, c’est filmé ? »
« 24/24 … »
« Bien. Heyles deux pipelettes ! »
Dit il en s’adressant aux deux gardes du corps qui chuchotaient dans leur coin, leur arme semi-automatique dans leurs mains.
« Camouflez la plaque d’immatriculation. »
Soudain, un bruit de pas, un type qui siffle. Fidèle à leur plan de secours, les Russes se faufilèrent en silence dans l’ombre, leur héritage militaire et leur instinct de prédateur leur permettaient d’être invisible à l’œil amateur. La pieuvre se calait dans la faible lumière lunaire mimant l’attitude d’un junkie … plus vrai que nature, avec la bave et tout. Les pas s’approchèrent, passant à quelques mètres de Serge qui tenta de discerner la silhouette de l’individu, sans succès. Quand il aperçut le Tchétchène et son jeu de scène, l’intrus accéléra le pas …
« ça va mec ? »
Son accent puait l’Irlandais. La pieuvre, fidèle à son rôle commença par le pointer du doigt puis tout en titubant, lui lança quelques insultes. Il improvisa enfin une chute sur le sol bétonné. Helvitch manqua de peu de tomber dans un fou rire. L’Irlandais s’esclaffa à pleins poumons en revanche, c’était le moment idéal pour frapper. Toujours le même plan d’attaque, d’abord le garde du corps, ensuite Helvitch. Le premier s’élança, vif comme un fauve et lui balançant un féroce coup de crosse sur le visage, Serge s’élança à son tour alors qu’une gerbée de sang retomba sur le sol en même temps que le crâne du type. Le Tchètchène se releva et le chauffeur sortit de l’ombre. L’Irlandais se trouvait étendu sur le sol, entouré par les mafieux, inconscient avec une sérieuse balafre au niveau de l’œil gauche. Helvitch claqua des doigts. Vassili lui asséna alors un autre violent coup de crosse qui manqua de lui écrabouiller le crane sur le bitume avant d’examiner le type étendu. Il défit le veston, un 44 à l’intérieur et une carte de docker.
Etait il avec les gangsters qu’ils devaient dérouiller ou était ce seulement un docker honnête ? Ils ne le sauront jamais. Vassili traîna son corps dans l’ombre, une trace sombre restait sur le passage. Silencieux et ensemble, ils tentèrent de percevoir le moindre bruit, mais plus rien. Ils pouvaient, après avoir camouflé les plaques d’immatriculation se remettre en route. Ils tournèrent à droite puis une ligne droite, sur la gauche un peu plus loin, dans la lumière d’un réverbère, une petite cabine, le poste de sécurité, leur cible devait se trouver dedans. Les vitres teintées du véhicule customisé serviront grandement ce soir. La lourde voiture s’avança alors, et freina au niveau du poste, le docker se leva de son ordinateur de sécurité pour contrôler les passagers.
« Motif de votre visite ? »
La vitre se baissa, le docker ne verra qu’un bras muni d’un flingue silencieux, le premier coup le touche en pleine poitrine, le second vient s’écraser contre le mur et le troisième lui transperce le crâne. Il s’écroule sur l’ordinateur. La vitre se relève ,la voiture accélère, défonçant la barrière et après avoir prit assez de vitesse effectue un dérapage et quitte les lieux à toute vitesse. Le sang, mêlé aux restes de cerveaux bouillis, remplit bientôt la petite cabine. La Mercedes retourna, en baissant sa vitesse, sur le périphérique. Un dernier arrêt pour enlever le camouflage des plaques et ranger les armes avant de prendre la bretelle pour Little Odessa et le « Irkoutsk ». Serge retrouva vite ses repères dans le paysage douteux du quartier. Ils s’arrêtent à côté du restaurant, Helvitch demanda au chauffeur de descendre ouvrir le lourd portail. La voiture s’y engouffra ensuite avant de se garer lentement dans la petite cour. Ils descendirent tous et sans un mot, Serge se dirigea vers le portail.
« Demain, 9h, ici. Bonne nuit messieurs. »
Il referma le portail et marcha la centaine de mètres qui le séparait de son appartement dans le centre du quartier. Les pieds fatigués, il s’attaqua à l’escalier, ramassa la masse de courrier à sa porte, ouvrit cette dernière et redécouvrit son appartement, la vie continue …
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Ven 11 Juil - 21:37