Retour aux sources

Serguei se réveilla en sursaut. Caitlin accourut en robe de chambre, un Colt à la main. Il fallut un instant à l'ancien Boss de la mafia pour se remémorer l'endroit où il était. La veille, il s'était réveillé face à la mer, dans une île paradisiaque, et à présent, il se retrouvait dans un loft curieusement décoré à la mode des 60's.

"Tout va bien Serguei ?"

Serguei observa son associée, cette robe de chambre lui allait à ravir, chose rare : ses longs cheveux blonds étaient détachés, , elle était splendide.

"Juste un mauvais rêve, ne vous inquiétez pas Mademoiselle Delanay."

Il adorait la vouvoyer, c'était devenu une habitude qu'elle ne pouvait plus supporter. Serguei se leva et enfila un peignoir au dessus du simple short qui lui servait de pyjama. Son torse nu révélait une solide musculature, particulièrement travaillée ces derniers mois, ainsi que plusieurs cicatrices : des balles qui lui avaient traversé le torse. De semblables meurtrissures se trouvaient sur sa jambe.
Désormais, il savait marcher sans boiter. Il pouvait donc de nouveau exercer ses capacités de tueur. Même s'il n'était plus aussi fort que lorsqu'il avait vingt ans, il était au moins d'égale force avec n'importe quel homme de son âge, voire plus jeune.

Serguei se dirigea vers la douche. Il était chez Caitlin, dans le loft qu'elle s'était faite construire dans les beaux quartiers de l'European. Bien entendu, Serguei n'avait pas couché avec elle : il ne mélangeait pas travail et vie privée. De toutes manières, on avait généralement tendance à amputer le côté privé de sa vie lorsque l'on avait tué plus d'une trentaine de fois.
Le meurtre avait cela de beau qu'il enlevait toute notion d'affection ou de principe chez celui qui le commettait.

Après avoir pris une douche rapide et s'être habillé, avec un pantalon noir et une chemise blanche très simple, Serguei alla chercher son Holster qu'il s'arrocha autour du torse. Il contenait un Colt Python, le genre de matériel necessaire à Karandras. il attacha également un couteau de combat à sa cheville et mit une bombe lacrymogène dans la poche intérieure de la veste qu'il enfila.

"Tu veux vraiment y aller seul ? Deux canons valent mieux qu'un. Helvitch t'a déjà menacé de par le passé..."

"Ne vous inquiétez pas mademoiselle Delanay, je le connais ce vieux requin, c'est moi qui lui ai appris à se servir d'un flingue. Restez ici. Je vous avais prévenu : désormais, vous vous occupez du Gangster Times pendant que moi, je retourne à des affaires plus... importantes.

Serguei enfila un manteau et mit un feutre assorti sur sa tête. Il ouvrit la porte et se retourna vers Caitlin avant de sortir :

"Fais attention à toi Caitlin."

Il claqua la porte avant de sauter dans sa Mercedes. Direction le QG des Russes, une des dernières sources de Serguei lui avait expliqué où Helvitch aimait gérer ses affaires. Barthelemy ne connaissait plus aucun des mafieux en présence -Serge avait abattu tout ces anciens amis- mais il savait que ceux qui seraient postés devant le QG le reconnaitrait.
Officiellement, Serguei et son ancien ami Serge en étaient au Statu Quo, mais tout pouvait avoir changé.
La liste noire de Barthelemy, dans laquelle il avait inscrit tout les noms des mafieux qu'il connaissait, ne lui servirait plus à rien. La plupart des Russes de Moscou avaient été arrêtés ou tués, et les nouveaux noms étaient inconnus de Serguei. De toutes manières, lancer la liste noire sur le marché reviendrait à se dénoncer lui-même, ce qui serait dommage quand on avait dépensé autant d'argent pour se faire oublier.

Après avoir garé sa Mercedes dans une rue à l'air calme, Serguei se rendit à pied jusqu'à l'entrée du QG présumé. Comme il s'y attendait, deux gus à l'air louche trainaient là en sifflotant -Des gardes- on pouvait voir une bosse dans leur veste : ils étaient armés.
Serguei s'avança vers eux, la tête vers le bas. L'un des mafieux s'en aperçut et se mit sur ses gardes.

"Qu'est ce que tu viens faire là bonhomme ?"

Une fois assez proche, Serguei leva la tête, révélant ses traits.

"Conduis moi à Helvitch !"

Le QG du clan, il n’y en avait pas clairement à Karandras. Helvitch était un peu un intermédiaire du centre du clan se trouvant plutôt à Houston, la ville n’étant plus très importante, ils avaient laissé au mafieux le choix de pouvoir se réinstaller et surtout d’installer sa famille, sa vraie famille. Le vieil entrepôt des docks s’était déplacé vers le « Irkoutsk », un restaurant russe luxueux dirigé par le cousin Helvitch.

Comme à son habitude, Serge, malgré qu’il ait un nouvel appartement situé quelques mètres plus loin, préférait rester au restaurant, au moins la nourriture était bonne et la vodka toujours fraîche. La Mercedes du mafieux se trouvait encore une fois non loin du bâtiment et Youri, le chauffeur et garde du corps de Serge était chargé de l’entrée pour assurer ses fins de mois, le seul problème, il devait bosser avec un abruti fini, encore un russe de l’ouest qui se prend pour un caïd alors que son sang n’a pas dû dépasser les deux générations. Quoi qu’il en soit, alors que Serge admirait les quelques courbes de marchés dans la presse économique, Youri et son abruti de coéquipier mataient le type qui venait de garer son allemand pas très loin et qui s’approchait d’eux.

Youri se mit en retrait pour allumer une clope lorsque l’abruti reprit sa ritournelle avec les inconnus, agressant littéralement le nouveau venu. Il soupira entendant juste le mot Helvitch prononcé avec l’exactitude de l’accent russe. Il revint au milieu de la scène. Donnant un coup violent sur l’épaule de son coéquipier assorti d’un regard noir. Le type recula respectueusement.

« Pardonnez le monsieur … Entrez entrez. »

Ne sachant absolument pas qui il était ni ce qu’il voulait. Il ouvrit la porte du restaurant recouvert de papiers peints couleur rouge, la salle dégageant une ambiance chaude et réconfortante, bien loin de l’ambiance de mafia. Youri referma la porte derrière eux.

Serguei enleva son chapeau en entrant. Il inspira longuement, il reconnaissait cette décoration. Non pas qu'il était déjà venu dans ce petit restaurant, mais tout ici rappelait la Russie, sans aller dans l'ostentatoire, Serge avait réussi à créer une véritable et chaleureuse ambiance ici. C'était très différent du vieil entrepot délabré qui servait de QG à Barthelemy à l'époque...
L'homme qui avait ouvert à Serguei ne semblait pas être du menu fretin, il devait avoir une quelconque importance ici, mais Serguei le trouva imprudent de laisser entrer un inconnu armé jusqu'à son patron. Sans doute reconnaissait-il dans la voix de Serguei l'accent moscovite du mafieux qu'il était.

"Ton ami n'as pas l'air très intelligent."

déclara Serguei en Russe, pour bien faire comprendre au garde du corps qu'il ne s'était pas tromper en laissant entrer cet inconnu. Puis, l'ancien Boss de la mafia jeta un coup d'oeil dans la pièce, à la recherche de Serge, s'attendant à ce que ce dernier vienne l'acceuillir comme il se doit...

Youri décocha un sourire suivit d’un petit rire cynique devant les paroles de l’inconnu. Le chauffeur enleva ses gants laissant apparaître son tatouage sur le dos de la main, des écritures cyrilliques témoignant de sa présence dans les anciennes geôles soviétiques, un signe reconnaissable par n’importe quel mafieux. De même, sur sa nuque, le chauffeur a eut il y a peu de temps le privilège de se voir tatouer le serpent étoilé, la marque des Helvitch, le témoignage de confiance, de dévotion, de soumission envers cette famille.

Il se contenta juste d’ajouter à Barthélémy.

« Beaucoup de gens bossent à mi-temps ici, il y a des nouveaux ici tous les jours, Nikolaï tiens à ce qu’un maximum de russes au chômage puissent bosser, la vie n’est pas facile dans le quartier ces derniers temps … »

Nikolaï Helvitch, l’un des six grands derniers cousins de Serge encore appartenant au milieu criminel. Le septième, déséquilibré a été exécuté par les italiens pour une histoire de filles, un autre cousin, un avocat, Serge l’avait tout simplement buté de la main d’un tueur nommé Frank Christie par l’intermédiaire d’une organisation secrète.
Youri le chauffeur se défaussa également de son manteau et au travers de sa chemise noir un peu trop petite, on pouvait apercevoir la morphologie du garde du corps. Quelques semaines plus tôt, Youri n’aurait sûrement jamais pu parler ainsi à un type aussi bien fringué mais les temps changent, comme les habitudes d’ailleurs.
Lors de la réinstallation du clan à Karandras, c’est la vieille école qui est revenue, les russes respectant un code d’honneur antique, relique de l’Union Soviétique, bien loin de l’ancienne organisation, les mafieux tatoués étaient revenus en force, de même que la distinction par le sang.

Serge était au fond, près de l’escalier comme à son habitude, ne décrochant pas un seul regard de ses journaux. Le regard crispé, il ne jeta aucun regard sur la salle, n’apercevant pas les deux hommes lorsque ces derniers franchirent enfin le vestibule. Les petites enceintes propulsaient une musique douce et calme, une ballade russe, de l’opéra et des pièces d’un certain Rachmaninov.

La situation avait bien changé à Karandras. Les hommes de Serguei n'avaient jamais porté de tels tatouages, et ils étaient mieux fringués que la plupart des sbires de Helvitch présents dans le restaurant. Les Russes s'étaient appauvris à Karandras semble-t-il, sans doute voulaient-ils se faire plus discrets.
Nikolaï... Ainsi Helvitch avait ramené sa propre famille à Karandras. Serguei remarqua alors le fossé qui le séparait de son ancien ami. Barthelemy était loin d'être un Russe pur souche, et les valeurs familiales s'estompent bien vite quand votre mère est tuée par un pervers psychopate alors que vous n'êtes qu'un enfant.

Serguei s'avança humblement vers Helvitch, il avait l'air plus fatigué et concentré que jamais. Les fortes responsabilités de son poste devaient peser sur lui intensément.
La musique estompait légèrement la tension qui régnait dans le vestibule. Serguei reconnut immédiatement Rachmaninov, les deux hommes écoutaient sans cesse ses oeuvres lorsqu'ils travaillaient ensembles.

"Je vois que tes goûts musicaux sont restés raffinés Serge... Contrairement à ton entourage."

Serguei jeta un regard méprisant sur les quelques types à l'air louche qui travaillaient dans la pièce principale. Un mafieux ne devrait jamais négliger son image. Heureusement, Helvitch était quant à lui bien habillé, comme à son habitude, lui et Serguei avaient cela en commun.

"J'espère ne pas te déranger Serge. Je vois que tu ne t'attendais pas à me voir. Je peux m'asseoir ?"

Serguei s'empara d'une chaise et se posa face à son ancien ami, la table les séparant. Youri observé la scène d'un air détaché. Barthelemy n'avait rien contre lui, il pouvait écouter s'il le voulait, après tout, c'était le job d'un garde du corps.

"Je vois que l'heure n'est pas à la rigolade, j'éviterai donc mes sarcasmes pour aller droit au but : J'ai besoin de toi."

Serguei soupira. Il s'était habitué à donner des ordres, mais il fallait savoir rester humble. Il ne comptait ni reprendre l'organisation, ni devenir un bras droit de Serge, mais juste redevenir tueur, comme avant. Visiblement, la mafia avait besoin d'un homme comme lui.

"Je viens de rentrer à Karandras, et les choses ont changé ici. Je n'ai plus aucun contact, et je n'aime pas ça. Je sais que cela va te surprendre, mais j'en ai assez de la vie de chateau. Se reposer tranquillement, ça va un moment, mais tu sais ce que c'est... l'appel du combat."

Serguei tapota sa jambe :

"Et comme tu peux le voir, j'ai retrouvé certaines capacités. Je suis resté un tueur. Les réflexes, les habitudes... Cela ne se perd pas. Pour tout te dire, je ne me vois pas lancer une carrière en solo, pas à Karandras. Trop d'ennemis, trop de pièges. Il me faut une organisation pour me protéger."

Barthelemy laissa son regard trainer sur la pièce principale. Des hommes allaient ça et là, ils avaient l'air bien organisés, mais donnaient une mauvaise image. Ces hommes étaient ... ternes. Ils semblaient tous aussi fatigué qu'Helvitch.

"Accepte-moi de nouveau dans la mafia. Donne moi des gages et je les accomplirai sans faillir. Tout ce que je te demandes, c'est un toit et un salaire. Je ne ferai pas de vagues, j'ai réussi à effacer mon nom de tout les dossiers, je suis pur comme neige."

Serguei plongea ses yeux dans ceux de son ancien ami, l'air sérieux. Au fond, Serguei cherchait autant la protection que l'ambiance. La mafia lui manquait. Comme il venait de le dire à Serge : On ne se refait pas !

Toujours plongé dans ses saloperies de requineries financières, Serge n’aperçut pas l’ancien chef de clan et peut être les embrouilles qui commençaient à revenir. Il ne put apercevoir qu’une ombre et lorsque enfin, il releva la tête, il aperçut, et quel choc pour lui, un certain Sergueï, ancien chef de clan, pilleur de caisses, assassins et ancien directeur du journal de Karandras. Serge n’eut pas le temps d’en placer une comme d’habitude et se contenta donc d’écouter silencieusement Barthélémy, qu’avait il à dire celui là..

Serge gardait les yeux plissés, un visage sans expression, sans quitter son compatriote des yeux. Il gardait également une main sur son journal comme s’il voulait tourner la page. Quelques mètres plus loin, Youri était là, se sentant presque gêné d’assister à cette discussion mais son flair lui disait que ce nouveau venu n’était un pas un vendeur de chaussure qui ait besoin de quelques services pour renflouer sa caisse trouée par des italiens.

Une fois le beau discours de Barthélémy terminé, Serge soupira tout en refermant brutalement son journal. Depuis un an, les choses ont bien changé. Serge n’était plus aux commandes, on lui avait attribué un rôle presque honorifique et la majeure partie du business qu’il effectuait se trouvait être soit parfaitement légal soit pour des motivations personnelles. Il obéissait encore au clan mais ce dernier restait tranquille depuis quelques temps. Il voulait revenir dans le clan, en tant normal Serge aurait accepté, après tout beaucoup de temps a passé, et le pardon n’est il pas une forme de pouvoir.

Juste l’histoire du carnet de Sergueï lui faisait encore des frissons dans le dos, ce dernier, avait écrit le nom de tout ceux qu’il pourrait compromettre en cas de menaces sérieuses sur lui. De ce côté, même si Serge n’avait rien à craindre, ayant abandonné les affaires, son nom était propre, de plus son séjour en Pologne l’avait lavé de tout soupçon. Il le fixa, Sergueï ne devait plus trop être au parfum.

« Tu sais … j’ai plus les commandes. »

Il plia son journal, le ton de sa voix était amical, il cherchait plus à le provoquer car même si le faible Barthélémy ne faisait plus les gros titres des journaux, le respect était encore là.

«Tout ce que je peux te proposer c’est du travail au noir … On bosse ensemble, on partage les payes mais je ne peux pas parler de toi au Conseil … Vu ta … particularité. »

Le conseil, un groupe de vieux à Houston, véritables nouveaux patrons des clans du Sud, ils ont débarqué de leur Russie avec des préceptes élitistes, et pas sur qu’ils prennent bien l’histoire d’un mafieux non tatoués et non sang-pur.

Serguei hochait la tête en écoutant la réponse de son ancien ami. Apparrement, il tombait plutôt mal. Lui qui croyait avoir affaire à un chef de gang se retrouvait en face d'une sorte de... banquier de la pègre, et encore ! A trop lire ses journaux, Serge avait dû perdre tout envie d'ascension, de prestige.
Les temps changent...

Serguei avait eu l'habitude de se moquer de ses "patrons", qu'il laissait pourrir bien au fond de leur Russie pendant que lui amassait les gains. Si à présent les vrais Boss trainaient dans le coin, lui n'avait plus sa place dans la mafia. La réponse finale de Serge souligna cela. Serguei soupira longuement. Le refuser lui pendant que ces pouilleux du restaurant se grattaient les fesses plutôt que de faire marcher les affaires !

L'ancien directeur du Gangster Times n'était pas venu là pour trouver du travail, mais pour obtenir la protection de la mafia. Si Serge ne la controlait plus, il ne lui serait utile en rien... et inutile d'esperer le soutien des nouveaux patrons : une seule recherche sur la passé de Barthelemy et ils le jetteraient au fond d'un canal.
Serguei se leva, un air triste sur le visage :

"Bien Serge... Je dois t'avouer que je m'attendais à mieux, mais je ne vais pas cracher sur ton offre. Voici mon numéro, si jamais tu as un sale travail à faire, pense à moi. Je tiendrai notre accord secret."

Le mafieux plongea son regard dans celui de Youri avant de revenir sur l'homme en face de lui :

"J'espère que tu peux lui faire confiance, le simple fait de me laisser partir en vie pourrait te couter très chers si tes Boss venaient à l'apprendre. Sur ce, bonne journée messieurs."

Serguei remis son chapeau et sortit de la remise, jetant un regard dédaigneux sur les hommes de main de Serge. Il s'en alla discrètement et finit par disparaitre du champ de vue des mafieux.
Une rencontre peu concluante... Serguei évitera de le dire à Caitlin. Il agirait seul à présent.

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